Dis, c'est quoi ton nom ?

Je m’appelle Jeunesse et je suis morte. Est-ce que j’ai bien vécu ? Oui, je crois. Pourtant, y’a pas à tortiller, j’ai parfois fait n’importe quoi. Quand j’y pense, je rigole toute seule. Non, sans déconner, j’ai fait ça ? Ben oui, c’est ça avoir 20, 25, 30 ans. On dit qu’il faut que je me passe. C’est fait. J’ai vu les années défiler. J’ai vu les putains de chiffres de la dizaine monter vachement vite. Je pensais être à l’abri. On me disait bien conservée. J’y ai cru. Longtemps. J’ai tiré ma révérence. Dur, très dur. Je me suis accrochée comme une moule à un rocher. Voulais pas partir. Juste rester encore un peu. C’est si bon. « Dans chaque vieux, il y a un jeune qui se demande ce qui s’est passé ». Qui m’a mis cette phrase en tête ? Un ancien certainement mais lequel ? J’en connais pas.
J’observe la relève. Elle est arrivée sans prévenir. Aucune politesse. J’étais tranquille. Je m’occupais de moi, prenais des vitamines, faisais du sport, les boutiques. Je me soignais. Et elle déboule. Comme ça. Sans tambour et sans trompette. Comment elle s’appelle ? J’sais pas. J’ai entendu parler d’une certaine « Maturité ». Serait-ce elle ? En tous cas, c’est pas de ma famille, évident. Pas celui de ma cousine non plus. Non, c’est pas Vieillesse. C’est drôle, je connais pas cette frimousse. J’ai pas envie de le dire mais elle a l’air sympa. Moins cinglée que moi. Faut dire qu’on a pas le même âge. Elle a l’air plus tranquille. Avec un reste rock and roll. Plus épanouie ? Oui, c’est ça et ça se voit. Elle a beau essayer de le cacher, je vois le bordel sur son visage. Un coup raisonnée, un coup cinglée ; un coup, réfléchie et posée, un autre délurée et drôle. Mais c’est qui ? Finalement, j’aurais aimé être comme elle. Mais je regrette rien. J’ai tout aimé. Même mes erreurs. Même pleurer pour des peccadilles. Impression que c’était la fin du monde. Ça l’était pas. Je repartais à fond. Vivre. Aimer. Aller plus loin.
Je la regarde. Elle est jolie, dans le bel âge. J’ai envie de lui parler. De lui dire de se méfier. Qu’on peut la virer comme ça, sans crier gare. Mais j’peux pas. Et puis à quoi ça servirait ? Moi, personne m’a dit. J’ai appris toute seule. J’ai pris la route. Avec enthousiasme et confiance. C’est fini. Ça fait partie du jeu. Toujours su. Au début, ça fait peur. Après on comprend. Le moindre petit instant de ma vie avait un prix. Je peux partir tranquille. J’ai fait ce qu’il fallait. Elle va prendre le relais. S’appuyer sur mes erreurs. Elle les connait. Elle sait beaucoup. Je le sens. Je le vois. Je lui souhaite une longue et belle vie. Moi, j’ai donné le meilleur de moi-même. Je peux me reposer.
