Un enfant ? Un tout-petit ? Quelle idée ?

Une mère et sa fille entrent dans un appartement, chargées de paquets. La fille entre la première, d’un pas rapide. Elle est agacée et suivie par sa mère qui elle semble très énervée. Elles continuent une conversation …
Marie : Je t’ai simplement dit que j’aimerais avoir un enfant. C’est tout. Je n’ai pas demandé des commentaires. Je te le dis. Je t’informe. Prends-le comme ça, comme une information que je te donnerai et arrête de t’exciter comme une folle !
Florence : Une information ?? Mais tu te crois où ? Au journal de 20h ! Une information !! Mais tu sais son âge ?
M : Le sien et même le mien. C’est pas incroyable ? Et alors ? Il est encore en âge de faire des enfants
F : Mais pas de les élever
M : Mais c’est dingue ça ? Qu’est-ce que t’en sais ? Mais qu’est-ce que t’en sais ?
Elle s’agace de plus en plus et range les paquets de manière assez brusque.
F : Je le sais. C’est tout. Moi, un enfant, ça m’a suffi. C’était bien, j’étais contente de jouer le rôle de mère à 20 ans. J’avais l’impression que j’étais le centre du monde, que j’étais importante moi qui ne l’avais jamais été. J’ai quand même vite déchanté et pourtant dieu sait si je t’aime ma fille !
F : Alors si Dieu aussi le sait...
M : J’avais 20 ans, 20 ans ! Est-ce que l’on est prête à 20 ans ? Se lever la nuit, c’est pas trop fatigant, on récupère vite à cet âge mais le reste, ce qui vient après !! Et toi, te lever la nuit à ton âge avec ton boulot, tu vas être…
M : Stop. Tu arrêtes
F : C’est pour cela que cet homme…
M : Mon mari
F : D’accord. TON mari, l’homme avec qui tu veux des enf …
M: Un pas des…
F : UN enfant ! UN enfant avec ton mari donc mais qui en a 55… T’as pensé à vos âges ?
M : Ben non, on ne pense pas ! On a des cerveaux explosés, ratatinés ! Il n’y a que mon vagin et sa bite qui réfléchissent !
F : Ah, je t’en prie, ne sois pas vulgaire
M : Vulgaire ? Moi ? C’est le mot qui te dérange comme ça ? Alors que de te mêler de ma vie et de tenir des propos comme tu les tiens, ce n’est peut-être pas vulgaire…
F (en soupirant) : On ne doit pas mettre le même sens sous les mêmes mots. Mais si tu ne tiens pas à ce que je me mêle de ta vie, ne viens pas m’en parler.
Entre un homme d’une soixantaine d’années dont on devine que c’est le mari
Le mari : Parler de quoi ?
F: Bonjour William!
W: Bonjour. Alors, la mère et la fille vous parliez de quoi ? Ou plutôt de quoi Marie n’aurait pas dû te parler ?
M : Maman a décidé que j’étais fatiguée et que je devrais partir me reposer à la campagne
F : Mais pas du tout, pas du tout. Elle me disait qu’elle voulait un enfant. Voilà. C'est dit, c'est direct ...
Marie est gênée, elle regarde son mari qui la regarde curieusement
W : Comment tu peux dire cela ?
F : J’en étais sûre
W : Sûre de quoi ?
F : Que tu trouverais ça absurde cette idée d’enfants ! À vos âges ! Je sais que c’est une idée de ma fille, certainement pas la tienne ! Rassure moi William, vous allez réfléchir tous les deux parce que moi, je vous dis parce que je le pense que c'est peut-être, non pas peut-être, c'est sûrement une erreur parce que quand même se remettre dans les couches... C'est mignon un bébé, c'est sûr, c'est beau mais je pense, et c'est pour ça que je vais vous le dire...
W : Florence, tu vas faire un discours de 3h ?
F : Euh…non mais je voulais
W : Rien, tu ne voulais rien. Tu ne dis plus rien parce que je ne vois vraiment pas en quoi cela te regarde. Donc, tu vas gentiment rentrer retrouver ton mari à toi et on se voit plus tard, dans un jour, un mois, un an…
F : Bon, j’ai compris mais je pense...
W : Que tu m'as pas bien compris donc tu vas arrêter de faire marcher tes neurones, hop hop hop, on pense plus, on dit au revoir, à bientôt... quoi qu'en réfléchissant... Bon, Florence, bonne soirée et donc on se reverra plus vieux
Florence se lève, rassemble ses affaires....
F : c'est sûr qu'on se reverra plus vieux... Lapalisse n'aurait pas fait mieux …
...embrasse sa fille, son gendre,
F : Marie, je te laisse ce paquet, il est trop encombrant et dans le métro, déjà tout à l’heure, ça m’agaçait donc je te le laisse et le prendrai plus tard
W : C’est une poussette ? Déjà ?
M : Ou je te l’apporterai quand je viendrai dans un jour, un mois, un an…
M : Je file… Je ne sais pas si on te l’a déjà dit mais t’es drôle William, vraiment très drôle ! Quant à toi ma fille, t’es aussi une grande comique…
Elle s’en va. Le couple se retrouve seul.
W : C’est quoi cette histoire ?
M : ….
W : Tu dis à ta mère que tu veux un enfant mais à moi, tu ne dis rien. On revient sur quelque chose dont il me semble avoir non seulement parlé mais d’avoir été on ne peut plus clair
M : Je sais. Mais on peut changer. Alors, je te le redis. Je veux un enfant
W : C’est bien parce que moi, je n’ai pas changé. C’est non. Ça pourrait être un petit non mais non, c’est un beau non. Tu veux que je te redonne l’argument essentiel : tu sais mon âge ?
M : On dirait ma mère !!
W : Ce qui n’est pas étonnant puisque cinq petites années nous séparent. Donc, je répète « Tu sais mon âge ? »
M : L’âge de me faire un enfant.
W : Dis-moi pourquoi tu en veux un.
M : Parce que je t’aime, que tu m’aimes, que ce serait chouette un bébé à nous…
W : Tu plaisantes ? On s’aime donc on doit faire des mômes. Tu sais qu’il y a des gens qui ne s’aiment pas et qui en font quand même, que c’est même la majorité de la planète ! La reproduction, ce n’est pas toujours une histoire d’amour
M : Je ne te parle pas des autres, je te parle de nous, de moi, de ce que je veux
W : Bon, alors, un bébé parce qu’on s’aime. Des couches, des biberons, des nuits à se lever pour un mal de ventre, un mal de dents parce que les dents, ça fait mal et d’ailleurs ça fait mal à tout âge ! (il se tient la joue deux secondes) et la crèche, l’inscription avant même d’être enceinte... Et la regardant sceptique d'ailleurs, tu ne te serais pas inscrite par hasard ?
M : Ma mère a raison, t’es d’un drôle mais d’un drôle ! Je suis pliée en deux, tu ne le vois pas mais je suis pliée de chez pliée !!
W : Marie, enfin ! Et l’école, les instits qui nous bouffent les week-ends avec leurs putains de devoirs, le collège, les clopes, les filles si c’est un garçon, les larmes si c’est une fille, le foot si c’est un gars, les régimes à la con si c’est une fille, le bac, l’orientation, le choix d’un boulot, d’une vie… Et de toute façon, je serai mort si ça se trouve dès l’entrée en école maternelle
M : Donc, tu ne veux pas d’enfant
W : Non
M : Même pour moi.
W : Surtout pour nous
M : J’ai vraiment envie d’un enfant avec toi.
W : Oui mais pas moi. Non, je me suis mal exprimé. Je ne veux pas d’enfant
M : Ton âge ?
W : Non, Marie. Pas que ça. Je n’ai pas envie d’élever un enfant même si c’est un enfant à nous. Je n’ai pas envie de tout ce que j’ai dit tout à l’heure, les couches, les nuits, les biberons, les angoisses, la peur, non, je ne veux pas.
M : Qu’est-ce qu’on va devenir alors ?
W : Comment ça ? Qu’est-ce qu’on va devenir ??
M : Ben oui, qu’est-ce qu’on va devenir ?
W : On se demande !! Je ne sais pas ! On va adhérer au parti communiste, entrer dans une maison de retraite… C’est quoi cette question ? On ne peut rien devenir si on n’a pas d’enfant ?
M : Moi, je veux un gros ventre, des gros seins, des grosses nausées, des grosses envies
W : Des grosses inquiétudes, des grosses...
M : De toute façon, c’est fait
W : Comment ça c’est fait ?
M : Tu as compris.
W : Je vais m’arracher les oreilles, me réveiller… il va se passer quelque chose comme dans les films. Marie, ne me dis pas que
M : Si
W : Putain Marie…Putain… Je ne le crois pas !!
Entre une jeune fille
Lucie : Salut Maman ! Salut William ! J’ai pris le courrier ! Tiens (elle tend une lettre à sa mère)
Le téléphone de W bipe. Il lit son sms pendant que Marie lit le courrier. Elle semble très mal.
W : Julie et Pierre viennent pour les vacances de Noël.
L : Super ! Vous savez que Julie est enceinte ? William, tu vas être grand-père pour la seconde fois ! C’est top ! Oh vous verriez vos têtes ! Vous devriez en faire un, ça vous rendrait peut-être plus gais ou pas… En tous cas, maman, tu verrais ta tête
Marie s’assoit, livide
M : Je suis enceinte
W : Bon, où est la Seine ? Je vais me noyer
M : de jumeaux…
W : le gaz, non finalement, j’essaie le gaz tout de suite
JF : Mais c’est vachement chouette ! Y’a plus d’âge pour faire les mômes ! C’est d’ailleurs des conneries de penser qu’il y a un âge pour tout. Moi je dis que tant que la nature le permet, yo yo yo.
W : C’est mon estomac qui fait le yoyo
M : le mien aussi, je crois que je vais vomir
W : Le gaz, la Seine, une corde, un pistolet, un sabre, un canon, qu’on aille me chercher toute la panoplie …
Lucie : Par exemple, Paul Émile Victor et bien il a eu son fils à 60 ans ! Et tu verrais son fils, vachement beau, vachement intelligent ! Et Charlot ? Charlot hein ? Plein de mômes, le dernier à 80 berges ! C’est pas dingue ? Il pouvait encore ! La vache !! Remarque je n’aimerais pas coucher avec un mec de 80 balais
M : Lucie, si tu continues, je t’étrangle
W : C’est bon Lucie, c’est bon. On va réfléchir tranquillement. Je ne suis pas Paul Émile Victor, j'ai pas le bonnet rouge
L : Tu confonds avec Cousteau, le sien il était bleu
M : Mais d'où tu sais ça, toi ??
W : C'est important de le savoir ?? Bon, je ne suis ni Victor et encore moins Charlot... Je suis moi, j’ai 55 ans, ma femme 40. Nous avons à nous deux quatre enfants, je suis grand-père, ma femme est enceinte, je vais être père de deux enfants, de jumeaux, la gémellité, un truc de dingue et je ne vois pas pourquoi je m’inquièterais.
L : Moi, je vais téléphoner à Mamie, elle va être surprise et contente
W : En réfléchissant un peu, je vais dire ni l’un ni l’autre…
Lucie s’en va. Marie est effondrée. William s’approche d’elle.
W : Alors, je vais réviser mes comptines : la souris verte… Allez souris Marie, souris, on va y arriver
M : Non, je ne suis pas enceinte pour de vrai
W : t’es enceinte pour de faux
M : Non, c’était pour voir ta tête
W : Non !
M : Si !
W : Je pense que t’es cinglée. Mais c’est pour ça que je t’aime, t’es barrée quand même par moments. C’est le courrier qui dit que t’es une femme enceinte de rien ?
M : C’est ça, je suis enceinte de rien, de personne…
W : Pendant un court instant, je me suis vu Papa de nouveau avec un petit tout-petit dans les bras et je me disais finalement que comme j'ai deux bras, il y avait de la place pour deux petits… C'est quoi alors cette lettre ?
M : On va au lit ?