Et la pizza, tu aimes ?


Geneviève ? Mais oui, c'est elle !! Il aura fallu que je vienne dans ce restaurant où je ne mets jamais les pieds vu que je n'aime pas la cuisine italienne pour reconnaître cette fille que je n'ai pas revu depuis… le lycée ! Donc, depuis plus de vingt ans. Elle n'a pas changé. C'est dingue. J'ai envie d'aller la saluer et lui rappeler que je n'avais pas apprécié la manière dont elle m'avait posé un lapin. Mais qu'est-ce qu'elle a à faire de grands gestes ? Elle a l'air en colère et l'homme face à elle en a l'air tout autant !! Mais c'est Éric, ce gros baltringue !! Incroyable. Ils sont ensemble !! Elle n'a pas voulu de moi et elle est avec lui. Ils ont l'air aussi énervés l'un que l'autre. Il se dresse devant elle, main levée.. Il va la frapper ? Non, quand même pas !! Mais si !! Il l'a frappée là comme ça devant tout le monde ! Dans le restaurant, le temps s'est arrêté, les fourchettes, les couteaux et les mâchoires sont à l'arrêt, les pizzas ne veulent plus sortir du four et le chianti s'est replié au fond du pichet. Tout le monde est médusé, absolument médusé.
Sidonie, ma femme, n'a rien vu. C'est bien la seule. Elle se goinfre de pâtes à la bolognaise. Et si on changeait ? Si je proposais à Éric de venir finir le repas avec elle pendant que moi, je me glisserais en face de Geneviève. Je voudrais qu'elle me raconte ce qu'elle fabrique avec ce minable. Ce minable qui s'est rassis parce que le patron a dû leur rappeler qu'ils n'étaient pas dans leur cuisine mais dans son restaurant et que dans son restaurant, on ne se tient pas comme des malotrus. Geneviève est livide sauf de la joue gauche. Elle se lève. Tous les yeux sont braqués sur eux. Éric, assis, la fusille du regard. Ils ne se parlent plus mais se jaugent, se soupèsent. On se croirait sur un ring bien qu'il règne dans ce restaurant un silence de cathédrale. Je me demande comme tout un chacun ce qui va se passer. Et puis, contre toute attente, il se lève, tire la table vers lui pour la laisser passer. Elle traverse la salle, il lui emboîte le pas et ils disparaissent de ma vue. Le restaurant reprend vie doucement.
Sidonie engloutit son dernier spaghetti puis se renverse sur son siège l'air satisfait. « Tu sais, me dit-elle, le cinglé qui vient de gifler sa femme, je le connais. Il s'appelle Éric. Je l'ai quitté pour toi. Aujourd'hui, je ne le regrette plus. T'as pas aimé ta pizza ? »