Et si on coupait ?

J'ai toujours eu du mal à comprendre son entêtement. Vouloir conserver un nid perché au sommet d'une tête me dépasse… Je suis déconcertée par cette femme qui ne me laisse pas libre de mes peignes et de mes idées lumineuses… Elle, en revanche, les idées de coiffure ne se bousculent pas sous son crâne. Elle sait ce qu'elle veut. Quand elle arrive dans le salon, son nid a déjà pas mal battu de l'aile et systématiquement, elle déclame : « Bien tiré, bien relevé, bien enroulé » !

La première fois que je l'ai vue, j'ai cru qu'elle venait pour une métamorphose. Mais non ! Elle a scandé « bien tiré, bien relevé, bien enroulé ! » tout en enlevant ses pinces ! Ses doigts les trouvaient sans hésitation, c'était fascinant jusqu'à ce que tout à coup, une masse se répande autour d'elle ! Sans plaisanter, j'ai eu peur ! C'était un sacré contraste avec la femme élégante ! Un mixte entre Cruella et la sorcière de Blanche Neige mais en moins courbée et avec des dents ! J'ai hésité entre attraper une paire de ciseaux ou m'enfuir. Elle m'a regardé, a compris que j'étais nouvelle, a sorti une cigarette de son sac, a ouvert son journal et a dit d'une voix grave de fumeuse « Allez mon petit, au travail… ». Je n'ai pas bougé. Elle m'a alors demandé si on allait attendre que ses cheveux se lavent tout seuls ! Cela m'a remis dans le sens du bac ! Après le shampooing, j'ai observé comment ma patronne replaçait le nid en haut de l'arbre ! Depuis, c'est moi qui la coiffe.

Une fois, j'ai voulu plaisanter et comme nous étions au Printemps, je lui ai demandé s'il n'y avait pas une femelle pinson qui par erreur, aurait pondu deux ou trois œufs. Elle m'a répondu qu'elle vérifierait à Pâques ! J'ai éclaté de rire parce que dans ce coin perdu, c'est pas tous les jours qu'on a le boyau de la rigolade en l'air ! Elle avait un humour incroyable qui jurait avec ce que je percevais. Depuis, j'attends sa venue hebdomadaire avec impatience ! Elle fume Pall Mall sur Pall Mall commentant la presse et surtout la politique, dénonçant la mal bouffe, la bêtise humaine, le racisme ordinaire… Elle dit que la colère est un signe de bonne santé mentale. Je la crois et l'écoute religieusement bien qu'entre Dieu et moi, il y ait quelques boulevards…

Lorsque je lui dis que j'attends le jour où elle demandera une coupe franche, elle répond qu'il faut avant toute décision irréversible attendre l'éclosion des œufs ! Quand elle part, elle me semble encore plus grande peut-être à cause du nid… Systématiquement, elle se retourne ; invariablement, je lui souris.