
Grande solitude
Le soleil me fait de l’œil m’obligeant à émerger. Je m’étire, ai envie de traîner mais une curieuse impression me saisit. L’atmosphère est étrange. Je lorgne le réveil. Il clignote ! Bon Dieu mais quelle heure est-il ? J’allume la radio. Que des grésillements. Enfilant un pull et un caleçon à la vitesse de la lumière, je comprends ce qui me trouble : le silence. À l’intérieur comme à l’extérieur de la maison. Je dévale les escaliers. Ni chat ni chien pour m’accueillir. La porte est entrouverte. Sont peut-être dehors au soleil ou en maraude. D’abord, prendre un café. La cafetière a rendu l’âme. Ne pas s’affoler. Difficile.
Je me glisse dans le jardin, siffle mes bêtes. Je pense que Gérard va me faire sa blague habituelle « J’arrive quand tu veux ma belle ». Sauf que là, Gérard ne pointe pas son nez. J’enjambe la barrière qui nous sépare et le cherche dans son jardin. J’avise ses tomates. Bientôt j’en cuisinerai en pagaille. Mes amis saturent de mes plats tomatés. Mes amis ? Téléphoner évidemment. Impossible de joindre qui que ce soit. La télé ? La mire. Mon cœur est en vrac. Me calmer, priorité. Inspirer longuement par le nez et souffler doucement par la bouche histoire de décontracter tout ce petit monde intérieur qui se crispe de plus en plus.
Sortir, filer vers le centre du village, croiser des gens et parler à n’importe qui deviennent une urgence absolue. Les rues sont désertes comme dans un mauvais film. Je marche seule. Je pourrai fredonner la chanson de Goldman si la peur ne me tordait pas la gorge. J’accélère le rythme. La sueur dégouline dans mon dos. Je n’aime pas l’odeur qui se dégage de mon corps. Celle de la peur. J’aurais dû me doucher. Peut-être que l’eau manque aussi.
La boulangerie. Fermée. Mais putain, c’est leur jour de fermeture ? Je file vers l’école. Personne. La Mairie. Personne. Tous les magasins fermés. Ville morte. Sans cadavres. J’arrive pas à réfléchir. Je tords mes mains tremblantes. J’essaie de me raisonner. Chercher un sens à tout ça. Y’en a-t-il seulement un. Que s’est-il passé ? J’hurle davantage que je n’appelle. Aucune réponse. Je veux voir mes amis, mes voisins même ceux que j’aime pas et à qui j’dis plus bonjour depuis qu’ils attendent l’arrivée de Marine. Même Marine, j’aimerais la voir débarquer là devant moi. Qu’est-ce que je vais devenir ? J’ai quitté Paris, ne supportant plus ni le bruit ni la foule. Et là j’aimerais voir des humains débouler tous azimuts. J’voudrais être entourée par une foule d’individus. Je veux juste de la vie. Et soudain, je réalise qu’aucun chant d’oiseau ne se fait entendre. Les animaux ont disparu.
Je m’assois sur le trottoir. Je n’arrive même pas à pleurer. Je suis dépassée par ce qui m’arrive. Qu’est-ce que je vais faire ? Je ne sais pas.
Je me retourne brusquement. J’entends du bruit. Ma fille me regarde « T’as fini d’écrire Maman ? On peut jouer ? »