Un dimanche dans le Loiret

 

 

Les dimanches qui chantent m’enchantent ! C’est comme éternuer …J’adore ça éternuer ! Comme si je nettoyais mon intérieur et que j’expulsais un ensemble de postillons plus ou moins parfaits… Écouter des musiciens jouer, un chanteur chanter, regarder les notes s’envoler des mains et des voix pour venir me titiller l’oreille me procurent ce même enchantement, de purs moments de bonheur.

Alors, voilà, dimanche midi, je préviens mes oreilles gentiment « Oh hé les filles !! Oyez-moi bien !! Je vais vous mitonner un dimanche aux petits oignons, je vous emmène en balade ! » « Où ça ? Où ça ? » entends-je les deux me dire en même temps ! C’est bien quand elles parlent ensemble parce que sinon, cela a tendance à m’agacer, tout se brouille et je ne comprends rien… Bref, je leur glisse que nous allons leur offrir un bon moment bien mérité à Lorrez-du-Bocage. Forcément, cela ne les a pas fait marrer parce que c’était la première fois qu’elles entendaient le nom de ce bled. Moi aussi, leur ai-je rétorqué, je ne sais même pas où c’est mais nous y allons ensemble, vous de chaque côté de ma tête que j’installe dans la voiture et que je vais conduire avec mon chanteur préféré assis à mes côtés. Prêt comme les scouts, il a mis sa ceinture et moi, du coin de l’œil, je le regarde. Il est beau comme un sou neuf avec une tenue digne d’une fête bayonnaise : un beau haut blanc, un bas rouge pas cabot pour deux sous, des shoes noires avec des lacets de la même couleur que son pantalon, -accord parfait- et qui vient couronner le tout ? Un chapeau blanc qui enfonce un peu mais pas beaucoup ses deux petites oreilles ce qui fait rire régulièrement les miennes. J’en profite d’ailleurs pour leur glisser « C’est lui que vous allez écouter». « Qui lui ? » dit la gauche. «  T’es lourde ! » lui rétorque la droite. Tu l’entends à la maison. Il chante sur le canapé, sous la douche, dans la salle à manger, dans le salon, dans la cuisine… ! « J’y suis, j’y suis » répond la gauche. Je l’entends bien, je l’entends même très bien. Il soule parfois mais y’a rien à dire, il chante bien. »

Et nous voilà partis. Les oreilles sont calmes, elles doivent se reposer sachant ce qui les attend. Du coup, on en profite Christophe et moi pour faire bla bla bla et re bla bla bla. On arrive, après 1 heure de blablabla en car dans le village inconnu de « Préaux Lorrez du Bocage ». C’est beau, c’est calme, y’a rien et surtout personne. Je me dis que s’il chante là, à part les fleurs, les oiseaux et l’église, personne ne sera dérangé. On parcourt le village en long, en large et en travers ce qui nous prend deux secondes vu que le village fait deux mètres sur deux. Moi, j’ai envie de rire, d’ailleurs, je ne me gêne pas, je ris. Le chanteur lui, est perspicace puisqu’il me scande « On va continuer… On verra bien ». Moi, j’aime bien être à côté d’un aventurier qui n’a pas peur de s’engager sur une route sans âme qui vive. Mais là, forcément, quelques roues de voiture plus loin, je lui rends hommage car on arrive dans un vrai village avec de vrais gens, de vraies maisons, de vrais chiens, de vrais chats, de vrais fils électriques et de vrais panneaux. Et ce bled s’appelle « Lorrez du Bocage Préaux ». Lecteur attentif, tu as vu tout à l’heure que nous étions arrivés à « Préaux Lorrez du Bocage ». Et si nous nous sommes trompés, c’est que nous devions aller à « Lorrez du Bocage Préaux ». Mais c’est pas génial ça ? Où habites-tu ? À Vitry sur Seine mais ne confonds pas avec Seine sur Vitry parce que ce n’est pas pareil !! Moi, j’adore…

En tout cas, le « Préaux Lorrez du Bocage » est un village sinistré ; quant à « Lorrez du Bocage Préaux », c’est incroyablement vivant ! Il y a même une brocante ! Je me dis en mon moi à moi, que je vais peut-être dégoter le truc de rêve dont je n’ai pas besoin mais je me rends à l’évidence… cela devrait être difficile. Je m’en aperçois assez vite bien qu’on la parcourt au pas de charge ce qui me laisse quand même le temps de constater que tout se vend. J’avise un canevas de 3 mètres qui représente une femme nue qui dort et un mec aussi nu qu’elle et en canevas aussi, est allongé à ses côtés, légèrement relevé et appuyé sur un coude. Il la regarde avec un air de rien et moi, comme je n’ai rien d’autre à faire, je me demande à quoi il pense. La propriétaire de cette œuvre mais qui veut néanmoins s’en débarrasser l’a mis en hauteur ce qui me permet de bien observer ce tableau. Je regarde la nana et je me dis qu’elle ne doit pas dormir, elle simule pour que son mec en canevas la regarde et le trouve trop belle… Pfff, c’est bien une fille ! Curieusement, c’est son sein qui m’attire l’œil parce que couchée comme elle est, son sein ne peut pas être comme ça ou alors c’est une extra terrestre et elle a 3 seins dont un qui se balade n’importe comment. Un sein anarchiste qui fait ce qui veut et je me demande si ce n’est pas ça que regarde le gars parce que cela doit le troubler autant que moi. Mais qui peut acheter ça ??? Mais qui peut passer des mois à canevasser ce genre de truc ? Bon, c’est moche mais mon chanteur a un métier, chanteur, donc pas le temps de s’éterniser devant cette œuvre d’art. Il cherche ses potes musicos et il les trouve !! Il trouve tout… Trop fort !! Je vais lui dire mais pas tout de suite puisqu’il a passé la surmultipliée et qu’il a trois enjambées d’avance sur moi. Tout le monde se dit bonjour. Il y a mon Jean-Luc et mon Isa et d’autres qui répondent au nom de Pierre, Léo, Marco… Les femmes des joueurs sont là aussi, on se présente, il fait beau, tout va bien et on entre dans un café parce que c’est là qu’ils vont jouer et chanter… Un dimanche à la campagne à jouer dans un café, c’est extra….

On s’assoit pour déjeuner. Moi, je meurs de faim mais quand je vois les moules arriver et surtout que je les sens, je me dis que je vais vivre sur mes réserves parce que le plat proposé par les cuisinières est comme chacun d’entre nous : unique ! C’est moules/frites ou frites/moules ! C’est comme les noms des villages ! Donc, avec les moules dont l’odeur hyper iodée me soulève le cœur, arrivent des frites… Bon, je les grignote en demandant à mon estomac de faire comme s’il mangeait des endives à l’eau et surtout je papote avec les uns et les autres et je dois dire que je me régale de mots. C’est bien plus nourrissant… Enfin, quand il n’y a rien d’autre… Et puis, les musiciens s’installent, mon chanteur préféré en fait de même et c’est parti pour une après-midi de zique au taquet !!

Et je passe ensuite à mon exercice préféré : regarder mes semblables ! Et mes semblables ne me semblent pas semblables… Il y en a même qui sont invraisemblables !! J’essaie de faire taire mon parisianisme à deux balles mais quand même, quand même !! J’ai l’impression que nous sommes à 600 bornes de Paris dans un bled profond de la campagne profonde ! Pourtant les panneaux m’indiquent que nous ne sommes pas loin de Souppes sur Loing et non de Loing sur Souppes, que Montargis est à deux pas et que nous sommes en revanche  973 kms de « Himmelpforten ». Donc, le bocage du préaux à Lorrez du bois n’est pas un village isolé loin de toute civilisation. À 1h de Paris et à 973 kms d’une commune teutonne, ils ne vivent pas en autarcie. Bref, à chaque fois, cela me surprend. Avec la braderie et le café qui fait tabac, c’est un défilé permanent. Des hommes, des femmes, endimanchés ou pas, se succèdent. Le bar en tient certains. La bière coule à flots et je me dis que forcément, moules-frites-bière, c’est un peu la braderie de Lille en avance et un triptyque qui marche du feu de Dieu… Alors, ça biérise à fond et ça passe devant mon nez pour aller évacuer le surplus. Oui, la bière, ça fait faire pipi… Un monsieur avec la tête aussi rouge que son pull se heurte à la porte fermée. Il repasse devant moi en bougonnant et en se demandant s’il va pouvoir tenir encore longtemps. Une dame sort mais sa copine qui attendait non loin et que le rougeaud n’a pas vu s’engouffre à son tour dans les toilettes où elle s’enferme à double tour. Le rougeaud qui a vu la première sortir et non la seconde rentrer, se dirige rapidement vers le lieu de tous ses espoirs, secoue la poignée dans tous les sens mais que nenni, la porte ne cède pas. Alors, il décide d’attendre devant. Sans bouger. Sans respirer. Sans boire. Son œil est vide, sa tête rouge, sa bedaine dépasse d’un jean qui pend aux fesses et je me dis… rien… Enfin, la dame entrouvre la porte, s’échappe et lui prend la pièce d’assaut ! Il ressortira quelques minutes plus tard, la mine réjouie mais toujours aussi rouge.

Dans un coin, trois minettes sont serrées les unes contre les autres autour d’un poteau. Elles sont fascinées par le show de Christophe. Je les regarde et j’espère que je n’ai pas le même air béat quand je le regarde chanter. Non, je sais me tenir. Quoi que… Je vais demander à Isa de me dire si j’ai l’air aussi cruche que ça… Si elle me dit « Ben oui… c’est pareil ! » que ferai-je ??? Pour l’instant, les trois gloussent, se poussent du coude, s’esclaffent, se tortillent… Un gros naze leur balance « Poussez-vous les pucelles » pour aller vider l’excédent de bière. Elles se poussent… Forcément…

Au bar, assis sur un tabouret, un type passe l’après-midi à boire. Il est content. Il se régale de tout ; cela se voit. Tant mieux. Un autre homme tout petit mais debout vu qu’il n’y a qu’un tabouret écoute tranquillement quand tout à coup, il part en vrille. Il ne se contrôle plus et se met à danser là tout seul devant le bar. Il est tellement petit que personne ne le voit. Alors, il se remue mais avec de grands gestes des mains, des pieds, ça s’agite de partout, ça fait même des chorégraphies, les gestes sont larges et largement rigolos !! Mais moi, les hommes heureux, j’aime ça !! Qu’il se régale, qu’il se tortille, qu’il soit bien ! Amen…

Les musiciens jouent, déroulent, c’est chouette… Connivence entre eux, bonne musique, le man est au maximum du show quand Léo qui est chez lui dans ce bled et à la basse dans le groupe décide de proposer à qui veut de venir chanter ou jouer parce que la teuf à « Lorrez du Bocage Préaux», c’est pas tous les quatre matins ! Le moment de gloire, c’est maintenant ou jamais ! Du coup, comme il est dans son village, il connaît tout le monde, tout le monde le connaît ce qui lui donne l’immense avantage de connaître également les prénoms. Alors, il scande « Nathalie ! NA-THA-LIE…. Viens, VIENS » à grands renforts de main. Nathalie n’est pas sourde donc Nathalie arrive toute contente. Grande, brune, avec un pull bleu et quelques enluminures dispersées, un caleçon et des grandes bottes, Nathalie, radieuse, entre en scène ! C’est l’artiste de Lorrez ! Elle a ses partitions, son classeur donc je me dis que la petite dame en pull et en bottes sans le fouet est l’artiste locale !! La campagne a ses stars et c’est tant mieux. Nathalie regarde les musiciens et elle leur dit : « Voilà, les gars, je vais chanter ça. Vous connaissez ? » Jean-Luc la regarde comme si elle arrivait directement de la planète « Andouille » et je me dis qu’il va lui balancer « Tu sais qui je suis ??? Tu sais que je joue partout, que je suis au Mojito tous les jeudis !! Oui, Oui, Nathalie et ne marche pas devant moi !! » Bon, il ne dit rien et tous, pas contrariants disent qu’ils connaissent, qu’elle ne doit pas s’inquiéter, qu’ils savent jouer… Nathalie remue sa crinière, regarde devant elle, tire sur son pull, fait « rrr rrr rrr » pour s’éclaircir la voix et les musiciens jouent l’intro. Elle se dandine Nathalie, elle a reconnu les mesures, ouf, ils ne se sont pas trompés, elle remonte le micro et elle va attaquer la première note ! Pour l’attaquer, elle l’a attaqué !! Le « YOOOOOOOOOOO » qu’elle nous sort fait sortir de leur réserve mes oreilles !! Elles me demandent si je ne déconne pas un peu et mon cerveau pense d’un seul coup à une pub pour une marque de voiture qui montre une fillette à un concours de je ne sais quoi genre la nouvelle star et qui hurle comme une possédée. Et bien, Nathalie, c’est pareil ! Elle hurle ! Elle ne chante pas !! Elle hurle ! À la tête d’Isa, je vois que ses appareils auditifs sont en train de faire un infarctus… Le bar se gondole, la bière demande à descendre tout de suite dans tous les estomacs et les moules qui restaient se carapatent avec les frites ! Christophe, bon prince, dit que si elle est heureuse comme ça, et bien, pourquoi pas, hein ? Mais il n’est pas gentil, l’artiste ? J’ai envie de le saluer là tout se suite mais bon, je me tiens ! Je regarde d’abord les musiciens : Jean-Luc ne regarde même pas son clavier, il est ailleurs, les doigts jouent tout seuls comme des grands ; les baguettes du batteur, Pierre, s’agitent toutes seules et demandent quand est-ce qu’elles vont rentrer à la maison. Mais Pierre s’en fout, il a des boules Quiès et se marre. Cet homme gentil s’en fout ou il n’entend pas. Marco essaie de se concentrer sur sa guitare ; quant à Léo, il connaît Nathalie et il savait qu’elle hurlerait comme une vierge explosée par une armée de cinglés. Alors, je me tourne vers les gens. Et bien, tous les gens du village, dans le café ou sur la place qu’est pas rouge, filment la Nathalie. Les plus téméraires s’approchent pour la filmer encore mieux !! La Nathalie qui voit la foule de 10 clampins à ses pieds bottés est à son paroxysme de jouissance, c’est l’Olympia à « Lorrez du Bocage Préaux» ! Elle redouble dans les décibels. Je me dis que les fenêtres vont péter, les déprimés se suicider, les enfants s’enfuir mais non… Nathalie finit dans un cri, tout le monde applaudit alors Nathalie décide de rester et de chanter encore et encore… Isa commence à s’exciter, me dit que si elle gueule c’est parce que personne n’a eu la bonne idée de lui dire de se taire ou de chanter moins fort… Du coup, elle file fumer avec la mignonne Marion qui a des shoes incroyables. Des spartiates sur talons aiguilles. Je me dis que si je mettais ça, les aiguilles rentreraient dans le sol pour ne plus en sortir et que je risquerai fort de ressembler à un rosbif. Bon, on n’en est pas là !! J’ai mes baskets aux pieds et tout va bien. Léo sévit dans l’appel des potes villageois et viennent se mettre à la guitare et à la basse deux énergumènes qui se la donnent. Je me demande si Jean-Luc va prêter son clavier mais y’a pas de Mozart en vue… Et tout à coup arriva de je ne sais où un rasta avec ses percus. Il a l’air gentil ce garçon avec ses deux têtes en une. Si on ne regarde que l’arrière de sa tête, on a l’impression qu’un aigle y a fait son nid. Si on fait abstraction du nid, on ne voit qu’un pauvre crâne clairsemé. C’est quand même bizarre…Enfin, moi, je regarde le nid et j’attends que des oisillons aigle sortent. Mais ils doivent aussi avoir peur de Nathalie… Enfin, elle s’arrête. Ouf, tout le monde redevient normal !! « Qui veut chanter ? » scande le Léo. « Personne, personne, PER-SONNE ! lui répondent tous les musicos, t’as vu l’heure ? Il est temps de plier les gaules, d’aller casser la croûte et de rentrer chez nous ».

On mangera rapidement un curry de porc. On aura des couvertures de survie vu qu’on mange dehors et qu’il fait moins 1000 et puis, c’est pas le tout, on a de la route, il fait noir… Il faut rentrer ! Léo me dit de faire attention vu que les chevreuils et les escargots sont de sortie… Ok mon gars, je connais la campagne. On ne verra qu’une musaraigne traverser à fond de cale et ensuite, l’autoroute…

1h du matin. On se couche. On recommence quand dis ? Les dimanches enchantés en chantant m’enchantent… Atchoum !! À mes, à vos, à nos souhaits !