Galop effréné !

Libre ! Je suis libre et libérée de toute contrainte. Enfin ! Je n’en pouvais plus. Je me suis échappée ! J’ai réussi. Tous mes ancêtres devaient être de sacrés sauvages. J’en ai de beaux restes. J’étais même prête à accepter l’idée d’être découpée et hachée. C’est dire ! Jument dépressive avait déclaré le médecin des bêtes. Il n’a même pas cherché pourquoi. Il a bien vu mon regard triste, ma robe terne et ma crinière tombante. Il a juste prescrit une poule pour me tenir compagnie. Une poule ?? J’ai cru que j’allais le mordre. Il n’a rien dit d’autre. Il a dodeliné de la tête et il est parti. Quel âne ! 

Libre ! Je suis libre !

Quelle sensation incroyable. Je l’avais presque oubliée. Je galope. Je ne m’arrête pas. Pas le temps. Le paysage, je le devine. Je le sens. Je connais sa beauté. Je file. Je ne veux pas être rattrapée. Je ne veux pas retourner là-bas. « Découvrez au grand galop le camping rigolo ». Tu parles d’une enseigne. Moi, cela ne m’a jamais amusée. Ah, j’en ai vu défiler des familles qui venaient se ressourcer dans le Luberon et sur mon dos. J’en ai eu de toutes sortes. Des qui se prenaient pour John Wayne, des qui paniquaient et qui me rendaient nerveuse, des qui se demandaient ce qu’ils foutaient là ! Moi aussi, je me le suis demandée. Mais comment ai-je mis autant de temps avant de me décider à partir ?

Libre ! Je suis libre !

Je veux retrouver ma vie d’avant. Avec Mojito, mon beau pur-sang. Qu’est-ce que j’aimais notre vie ! Elle n’avait rien d’exceptionnel. Elle était paisible. Et heureuse. Des journées radieuses dans les pâturages. Des nuits dans une écurie de rêve. L’arrivée de notre poulain, une joie, une joie immense. Et puis, la faillite, la vente et la séparation. Le camping pour finir ma vie ? Elle est déjà si courte, ce n’est pas possible. Quelqu’un m’a murmuré à l’oreille que l’un pourrait être à Vincennes, l’autre à Deauville. Le premier dans un zoo et le second dans un casino ? Cela a fait hennir de rire mon compagnon de balade. Je peux avoir de l’humour. Cela m’a valu dans les boxes de me faire des amis. Et d’amis en amis, j’ai un carnet de races qui va me servir. Du pur-sang arabe au percheron en passant par le mustang, je suis fin prête à trotter partout. Mais curieusement, une petite idée me taraude. L’Académie équestre de Versailles. Mon petit sabot me dit que c’est là-bas qu’il faut que j’aille. Des spectacles ont été annulés mais les chevaux ne s’arrêtent pas de danser pour autant. Mojito, le Printemps, allons-nous le sacrer ensemble ?