Un singe en hiver

Quand il a quitté son banc pour atterrir sur le canapé, étonnement et plaisir m’envahirent !

- Chapeau ! Tu l’as fait… ! Je supportais pas de te voir sur ton banc, tout seul dans le froid et la bruine d'Évreux. On aurait dit que t’étais entré dans l’hiver et qu’il allait faire un putain de froid avant le grand saut final ! Après cette ode à l’ivresse, engoncé dans ce manteau qui t'allait pas et dépiautant un bonbon, je me suis dit que t'allais mourir, là, sur ce pauvre banc de la gare sous ce crachin normand. Je suis plutôt contente de te voir ! 
- Ben toi la môme, t’as pas froid aux yeux ! Tu sais à qui tu parles ?
- Oui, Monsieur Gabin !
- Et Gabin, ça t’impressionne pas ?
- Ben non !

Il m’a regardé de ses beaux yeux bleus.
- T’as même l’affiche sur ton mur ! C’est du lourd, ça. Tu sais la môme, je me faisais vraiment chier ces dernières années. Tout rangé, en ordre, c’est pas pour moi. L’ordre, c’est pour les dictateurs ou tous ces gradés qui m’emmerdent. Ouais, t’as raison, sur mon banc, j’avais bien le bourdon.  Plus de place pour l’imprévu ! Là, avec toi, j’suis servi ! J’me jetterai bien un gorgeon derrière la jaquette. T’as ça ? Un bon Bordeaux ? C’est bath chez toi. Tu vis seule ?
- Non, avec un homme qui qui dit comme toi qu’il boira du lait le jour où les vaches mangeront du raisin.
- On n’est pas bien garés là ? Et t’as choisi un bon pinard ! Un Margaux ! La môme t’as une belle cave ! Tu vois, c’est pas le vin qui me manquait… Remarque celui-là c’est du lourd ! Non, c’est l’ivresse !
- Dis Jean, la fin, Pourquoi Michel l’a pliée comme ça ? »

Il me prit alors la main. 
- Viens, on va le savoir ! Le pinard va se mettre à bonne température le temps qu’on revienne
- J’aurais dû prendre un pull, il fait froid ! Évreux ! Mais qui peut vivre ici ?
Dehors, un taxi attendait.

- On va où Monsieur Gabin ?
- En France, on a trois spécialités : la littérature, la fesse et la bouffe. Les deux premiers, j’m’en tape. Gaston, conduis-nous à la Vieille Gabelle ! On va peut-être retrouver Lino et Michel. On va leur parler de la fin du film, t’en dis quoi la môme ?
- Que c’est chouette Monsieur Gabin !
- Gaston, mets ton char en mouvement ! C’est parti ! Roule ma poule !