Le noir peut broyer

 

 

Une heure d’essayage. Impression d’avoir 15 ans. Trente de plus sont inscrits au compteur. J’enfile une tenue, en choisis une autre, ne me décide pas. J’ai rencontré Pierre chez mes amis Marie et Léo. Un couple qui organise des soirées aussi improbables que chaleureuses. Ils osent les mélanges des genres. Paris souvent gagnants. J’y ai rencontré Pierre. Pierre, comment le décrire ? Séduisant intellectuellement. Intéressant physiquement. Incroyable ce qu’il me plaît ! Sans prétention, je lui plais aussi. J’suis pas née de la dernière couvée. Quand je fais de l’effet, pas besoin de panneaux lumineux. Séduire, j’adore ! Et séduire Pierre, une terrible envie. Un coup de fil, une invitation au restaurant, une surprise a-t-il dit. Ma curiosité est au paroxysme. Peu m’importe le menu. Seul le dessert m’intéresse. À condition qu’il le soit. Suis-je osée ? Peu importe ! Aucune honte à affronter mes désirs quand la cinquantaine approche. Et puis un dessert sans calories, c’est terriblement tentant. À la première bouchée, une envolée vers le septième ciel, lieu de perfection… Pour l’instant, c’est moi qui le suis parfaite. Je me tire la langue dans le miroir. Je me plais. Est-ce que je prends la voiture ? Non.

 

L’enseigne « Dans le noir », me fait sourire. C’est plutôt original au bras d’un métis. Il me chuchote que nous allons vivre un moment unique, insolite. Et d’ajouter explorer nos sens. J’adore son aisance. Nous entrons. Immédiatement, je perçois quelque chose de totalement inconnu. Une hôtesse dont le regard m’intrigue nous invite à déposer vêtements et sac. Un restaurant où les convives sont nus ? Je serai effectivement surprise. Mais surtout déçue. Elle ouvre un rideau. Quelques marches à descendre. Peu de lumière. J’vois pas grand-chose. Et soudain, noir total. J’attrape la main de Pierre. La broie. Bloquée sur place. J’entends des voix. J’ai compris. Refuse de le croire. Pierre se veut rassurant. Ne l’est pas. Accompagnés par un guide, nous rejoignons ce qui doit être notre table. S’asseoir ? Pas facile.  Pierre s’inquiète de mon mutisme, souhaite que cette expérience humaine me plaise. Si je réponds, je l’insulte. Envie de lui balancer une assiette en pleine tête. Très gros risque. J’ai envie de faire pipi. Mesure la complexité. Un serveur nous expose le concept. Le menu ? Chaque bouchée, une découverte. Sérieusement ? M’en fous. Pas faim. J’veux même plus de dessert.

Pierre m’explique que nous allons découvrir la façon de toucher, de ressentir et de savourer la vie. Qu’est-ce qu’il raconte ? C’est quoi ces conneries ? Je demande s’il existe des brasseries pour sourds, des bistrots pour muets, des tavernes pour les cons. Pas de réponse. J’vais pas rester. Impossible. J’peux pas. Et soudain, j’hurle ! Silence total dans la salle.  Où est la sortie ? J’sais même pas. J’vais pleurer. Je pleure. J’entends Pierre se déplacer. Il vient vers moi. Me serre contre lui, descend son visage vers le mien. Là, j’ai enfin un repère : sa joue ! La gifle est violente. Dommage, j’verrai pas le résultat.