
Depuis le mois de janvier, tu m’inquiètes. Ton état me préoccupe et j’angoisse au fur et à mesure que les jours défilent.
Depuis le 15 mai, tu es de l’autre côté du chemin. Et depuis, de manière obsessionnelle, je parcours les années que nous avons traversées.
Te souviens-tu ?
Nous sommes en 1988. À Créteil, c’est dans la ville dont tu dis qu’elle est la plus belle du Monde qu’une école permet de nous rencontrer. Je te revois rentrer dans cette classe de CM2 où la leçon porte sur les fractions. Tu toques à la porte et entre, c’est l’heure de la récré. J’enregistre ton briquet et ton paquet de gauloises. Tu m’envoies un « Qu’est-ce que tu fabriques ? Ça a sonné ». « Les fractions mais je m’embrouille ». En fait, j’embrouille tout le monde. Tu regardes le tableau, tu soupires et dis «Bon, les enfants, vous sortez. Dago, tu prends un papier et un crayon, on y va. »
Et c’est comme ça que notre histoire a commencé.
Te souviens-tu ?
On se croise dans le Centre Commercial de la plus belle ville du Monde. Les Francas recherchent une enseignante pour travailler sur le secteur Éditions/ Communication. En bas d’un escalator, je te présente le topo et te propose de postuler.
Tu acceptes et c’est comme ça que pendant 10 ans nous avons travaillé ensemble.
Te souviens-tu ?
On quitte les Francas. Tu pars à la JPA. Dix années s’écoulent puis tu reprends le chemin de l’école dont tu dis que c’est un chemin sur lequel tu te sens bien. Quelques années plus tard, tu finis ta carrière professionnelle et me rejoins dans cet espace dont je dis que c’est d’la bombe : la retraite. Nous étions en 2022
Alors de toutes ces années, de ces 36 années, que va-t-il me rester de Toi ?
Les mots croisés épineux de Max Favalelli que tu essayais de résoudre tous les dimanches dans le JDD quand c’était encore un journal que l’on pouvait acheter sans se boucher le nez ;
Un championnat départemental de puzzle auquel nous avions participé en doublette, 500 pièces sans modèle. Le challenge de dingue. Toi avec ta sœur et Moi avec une amie ; je ne me souviens plus si vous l’aviez terminé, nous non ;
Un match de hand-ball niveau coupe d’Europe et toujours à Créteil. Tu m’avais surprise en t’intéressant à ce sport ;
Ton amour de la BD que tu t’es appliquée à me faire découvrir et apprécier ;
Le temps des Gauloises en écoutant Anne Sylvestre ou Brassens ;
L’achat d’un plumeau à Lille où on nous attend pour une réunion ! Un truc improbable !
Les paris sur le football avec toute la bande de « cadres intermédiaires » dans le restaurant de Jean et de sa femme. Tu joues Angers ou Créteil parce que ce sont deux villes que tu aimes. Bien évidemment, tu n’as jamais gagné ;
Ta présence pour les soirées organisées à la maison ou ailleurs…
Des petites touches par ci, par là me reviennent mais j’en oublie tellement. En revanche, ce que je n’oublie pas aujourd’hui, c’est de te dire « Merci »
Merci pour ces discussions passionnantes et passionnées que nous avons eues et qui m’ont tellement apportée ;
Merci pour ces dix années partagées aux Francas où ta vivacité, ton intelligence m’ont éclairée ; pour l’aide constante et mutuelle que nous avons eu l’une envers l’autre sur un chemin pas toujours facile ;
Merci pour ces séances de cinéma, ces expos, ces rencontres avec des auteurs que nous avons partagés sans oublier de passer par la case resto.
Merci pour ce côté râleur dont tu dis que c’est un signe de bonne santé mentale ;
Christophe qui regrette de ne pas être là aujourd’hui pour des raisons professionnelles, doublage oblige, tient à te remercier pour l’accueil que tu lui as réservé ;
Mais le plus grand merci que je t’adresse c’est de m’avoir choisie comme témoin de ton mariage avec Peggy. J’en suis très fière.
Et puis je ne peux terminer sans évoquer la philo. Tu m’as dit que la philo t’avait simplement aidé à poser systématiquement la question fondamentale. Tu vois, dans cette phrase, je viens de coller deux adverbes et je t’entends me dire « Mais Dago qu’est-ce que tu fous à mettre deux adverbes dans une si p’tite phrase ? »
Spinoza… « Persévérer dans son être », une de tes phrases préférées. La dernière carte reçue de toi il y a quelques mois avait sur fond blanc écrit en gros caractères le mot « PERSÉREVER ».
Si tu croises Spinoza, raconte-lui. Il n’a jamais dû y penser. Cela va le faire sourire. Il sera bien le seul parce qu’aujourd’hui, Patricia, ni moi ni personne n’a le cœur à sourire.
Texte lu au Père Lachaise le 29 mai 2024
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