
Un 29 février, ça arrive pas tous les quatre matins mais tous les quatre ans. Et nous, on a décidé que le jour 29 du mois 2 de l'an 24, on s'envolerait pour le Sénégal. S'envoler entre amis. Jean-Luc et Isa, Patricia notre pote Nîmoise, ex miss Air France qui nous fait bénéficier de prix incroyables sur le vol Paris-Dakar et nous deux. Pour une fois, j'ai anticipé sur ce que j'emportais. Pas mis l'armoire sur roulettes et suis assez contente de mon organisation. Nous partons avec des cubis de rosé et de rouge, du rhum et du fromage ! C'est beau les pays musulmans, leur sobriété légendaire les honore mais nous, nous sommes solidaires dans la répartition des cubis dans nos valises respectives. Les garçons trouveront le moyen d'acheter du Ricard en duty free.
Jeudi matin, réveil en fanfare pour moi. Le dormeur qui n'est pourtant pas un nain, ce qui tombe bien vu que je ne suis pas Blanche-Neige, émerge avec mon insistance qui ressemble à "Il est 10h-20, on doit être à 11h30 au parking réservé pour notre belle Clio alors je pense qu'il faut peut-être si tu veux bien, te lever...". Nous arrivons à 11h33, laissons la Clio, mettons nos bagages dans une estafette (ça va pas tarder à l'être...notre fête... Oui, un matin d'inspiration...) et nous voilà au terminal F où nous attendons Isa et Jean-Luc qui sont dans la navette suivante. On chanterait presque tellement on est contents de quitter ce ciel bas, gris, pluvieux et froid. On imagine le soleil quand on volera au-dessus de cette masse informe. Les maillots de bain sont dans les valises, impatients de sortir ! On prévoit d'ailleurs un petit plouffage en arrivant ! Tout le monde est là ! On file à l'enregistrement des bagages !
On voit nos valises partir avec les cubis. Mission accomplie. On passe les douanes tranquillou, nos passeports sont à jour. En une heure, c'est plié et il est temps de déjeuner. Roissy n'a pas de restaurants hormis un MacDo mais là, c'est hors de question. Alors, on attrape sandwichs pour les uns, gratin de coquillettes pour d'autres et salade pour moi. Pas d'explosion des papilles. Christophe a la bonne idée de nous rappeler le menu demandé pour ce soir à Awa, notre cuisinière attitrée depuis deux ans : brochettes, sauce oignons et frites. Et si on est sages et surtout si elles sont mûres, on devrait terminer par des mangues. Et bien sûr, on commencera par l'apéro et enchainerons avec le vin et après peut-être qu'on replouffera pour éliminer tout ça !
Nous voilà dans la salle d'embarquement. On tape comme des guedin sur nos portables ! L'envoi de textos pour faire baver les z'amis avec plein d'émoticônes sourire en banane, des Gif où ça danse monstrueux ! C'est nous qui le sommes monstrueux ! Nos orteils sont en éventail, on sent que le bonheur ressemble à la Teranga. On en est là de nos réflexions quand Patricia revient d'un petit tête à tête avec le comptoir Air France. Elle rameute son p'tit groupe parce qu'elle a des choses à nous dire. Moi, j'sais ce que c'est : "Mes chéris, y'a d'la place en classe Premium, on est admis. On a réussi l'examen de passage des pauvres vers les riches ! J'ai commandé champagne, p'tits fours, on pourra aller sur les genoux du pilote dans le cockpit et pour ceux qui veulent, un p'tit salon est à disposition avec digestifs. J'allais oublier de vous préciser que le SPA avec massage proposé par Arthur, notre coach pendant cinq heures est ouvert". Mais c'est marrant, voire rigolo de chez trop drôle, et ben, la Patounette, elle a pas dit ça du tout mais alors vraiment pas du tout.
À sa tête, j'vois bien qu'Arthur, il est pas vraiment dans l'avion. Et nous non plus. Le beau n'avion qui devait nous emporter à quelques heures de la France et ben, il est cassé. Donc, des gars mécaniciens ont dit "on va réparer l'engin mais celui-ci, il va pas emporter nos cinq amis et tous les autres, donc, Air France, ta mission de grande ligne française est de trouver un autre avion". Air France se remue les ailes et vlà t'y pas qu'un autre oiseau se pointe mais pas pour nous ! L'oiseau est plus petit. Et des voyageurs -dont nous- sont invités à descendre avant le décollage. C'est mieux que pendant le vol mais quand même ! L'abolition des privilèges vient de frapper à nouveau ! Et pas un p'tit coup de rien du tout mais un gros coup de massue sur l'occiput.
Et là commence une partie qui n'est ni fine ni de rigolade !
On part pas. Même sur les ailes ou en se cachant dans la soute, on part plus. Plus du tout de chez pas aujourd'hui. On attend d'en être bien sûrs et certains. Et voilà qu'à 15h, c'est entériné, acté. On est contents parce qu'y a pas qu'nous. On trouve des consolations où on peut. Y'a 40 zozos qui vont apprendre bientôt qu'ils vont rester dans notre beau pays pluvieux. On quitte donc la salle d'embarquement mais vachement moins gais qu'il y a pas longtemps. D'accord on part plus, on a compris mais euh... il faut faire quoi ? Aller le dire au chef de la gestion des débarqués. Parce qu'après l'embarquement raté, voilà que s'pointe le grand débarquement réussi.
La chef de nous, la Patricia est devant. Nous quatre, on suit. Un peu bêtement. On va où ? C'est loin la mer ? Christophe est tout triste ; Isa dit qu'il y a des choses plus graves dans la vie et qu'en Ukraine, c'est pas drôle c'qui se passe ; Moi j'ajoute qu'en Afghanistan les femmes elles partiraient pas comme ça avec des chapeaux sur la tête et des cubis dans leurs valises quand Jean-Luc nous fait comprendre que si on avait la bonne idée de la fermer, il continuerait à nous aimer surtout sa femme. Donc on se tait. Moi j'ai mal aux pieds et c'est ballot c'qui m'arrive parce qu'on arpente des tas de couloirs. On repasse les douanes avec reconnaissance faciale. J'm'attends à entendre "Mais t'es pas déjà passée y'a d'ça deux plombes ?" Les portes s'ouvrent. Ouf ! Et c'est reparti dans les couloirs et dans les étages. On prend des ascenceurs et Jean-Luc fait remarquer qu'en ascenceurs, on est super forts parce qu'on les a tous à chaque fois. On n'a qu'à appuyer sur le bouton et hop, y'en a un qu'arrive de suite. On devrait partir en vacances en ascenceur.
Nous voilà devant une grande porte blanche. Un téléphone. Isa s'en saisit "Bonjour Monsieur, on voudrait récupérer nos bagages parce que voyez-vous, on part pas à Dakar. Oui, on devait manger ce soir des frites avec les doigts mais comme vous cassez vos avions, et ben figurez vous... Oui, euh, d'accord, j'dis plus rien. Vous arrivez ? Merci." Un monsieur derrière une petite vitre nous demande nos cartes d'embarquement et nous dit de revenir dans une heure parce que, et là aussi vous allez voir comme c'est vraiment rigolo, nos valises sont dans la soute avec plein d'autres copines. Il va donc falloir les appeler "Hé oh les valisettes, sortez de vos cachettes". Allez, on reprend les ascenceurs mais que faire pendant une heure ? Boire. Il reste que ça.
On reprend nos téléphones mais on fait moins les malins dans les textos. J'bois une tisane. C'est vraiment la déprime. D'autres boivent du Rosé. Pour éviter la déprime. Christophe va aux nouvelles. Il revient et sur la porte blanche de tout à l'heure, une p'tite affichette "Si vous voulez récupérer vos bagages, allez à la porte X, là vous trouverez un ascenceur ; une énigme sera proposée. Si vous la résolvez, vous pourrez récupérer une valise mais une seule. Et ensuite, une seconde épreuve vous attendra. Il faudra reprendre l'ascenceur numéro 12 Porte G. Point." On va à l'endroit indiqué mais pas avec toutes ces épreuves. Dans une petite cahute, une dame trop mimi nous dit "Mais oui mes Chéris, on va récupérer vos bagages mais ça va être long très long voire très très long". Que faire ? Tiens, si on prenait l'ascenceur ? Après s'être amusés à descendre et à monter, on attend. Et d'un coup, on réalise que lorsque l'on aura nos valises, faudra récupérer les voitures. Jean-Luc s'y colle "Bonjour Monsieur du parking. Figurez-vous qu'on a pas pu partir. Si si, c'est vrai. Oui, c'est triste. Non, on pleure pas parce qu'on prend des ascenceurs. Et eux, on les rate pas. C'est bien. On monte, on descend. Et puis on remonte et on redescend. Dites-moi mon brave, est-ce que vous pouvez nous préparer nos rolls ? Et surtout venir nous chercher. Quand ? Euh là on sait pas bien parce qu'on attend nos valises." Là, le monsieur de la navette, il a moins compati. Sortir nos voitures garées tout au fond du parking pour quinze jours avec cette pluie et ce froid, c'était pas c'qu'il préférait. Et nous on a continué d'attendre mais on a changé d'endroit. Nous avons atterri- si je peux le dire sans risquer une baffe- à l'arrivée des bagages. Y'avait que nous au milieu de plein de tapis qui ne roulaient pas. Deux employés assis parlaient de la pluie et d'la pluie. Risquaient pas l'infarctus. Nous non plus. On était encore sur nos portables. J'ai raconté notre vie à mon frère en lui envoyant plein de photos. Et d'un coup, un bruit : le tapis en mouvement. Tapis 21. Nos valises ? Si elles sont là. Et toutes. Pas une oubliée. Quelle chance mais quelle belle chance ! Je m'emballe. C'est normal, putain, c'est normal.
Et maintenant ? Allô, Monsieur de la navette du parking, on vous attend. On referme nos vêtements, on s'remet les écharpes et on se pointe porte 10 du point F. J'ai l'impression de jouer à la bataille navale. La navette arrive. On s'y engouffre. Un quart d'heure plus tard, on entre dans le parking toujours sous la pluie et nos deux titinettes sont là. On charge les voitures. La Clio me demande si je m'ennuyais d'elle pour revenir aussi vite. Waze est tellement étonné qu'il m'annonce une heure pour rentrer. Et à 20h20, on entrait dans une maison froide vu que j'avais baissé le chauffage. Les plantes, les meubles, les cadres, tout le monde nous a applaudis. On était pas partis longtemps.
Et là, il fallait qu'on se remette de cette journée à Roissy. Et c'est ainsi qu'on a pris l'apéro tous les 5 suivi par un plat de pâtes d'un autre monde que Christophe nous a cuisinés.
Nous étions le 1er mars. On aurait dû être à Dakar. On était à Vitry. On a trouvé plein de trucs positifs pour se dire qu'après tout l'histoire s'était écrite comme ça et que c'était pas grave. Bon. Mais quand même.
Maintenant on part quand hein Patounette ? Le 2 mars. Demain. Samedi. On recommence tout. Grand tralala : enregistrement des bagages, douanes, reconnaissance faciale et salle d'embarquement ! Parce que deux fois de suite, non, c'est pas possible. Juste pas possible. Ah, j'allais oublier. "La bougie du sapeur", journal qui sort tous les 29 février. Tous les quatre ans. Avec Isa, on l'a acheté. C'est pas extraordinaire la parution d'une feuille de chou tous les 4 ans ? Tout aussi extraordinaire et incroyable que notre début de vacances un fameux 29 février 2024.
Et quand un humoriste français écrit "Une année-lumière est une distance considérable, particulièrement quand elle est bissextile", ça me donne pas forcément envie de rire. Quoi que !

J' vais envoyer des textos...

Si j'avais un piano, je jouerai la musique du débarquement !

Et ça fait 421 ! 👏👏👏👏

A y'est ! On a les valises !

Euh... On repart !

Allez, on charge et on rentre à la maison !

Demain ? Le 2 mars ?
À suivre....
Un jeudi à Roissy ou un dimanche à Orly !
La bougie du sapeur !

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