J'étais dans le métro, assise sur un strapontin, sans rien d'autre à faire que de regarder les voyageurs. Il y a ceux qui dorment la tête contre la vitre, il y a ceux et bien nombreux qui jouent sur leur portable, répondent à leurs textos à une vitesse délirante comme si on leur avait greffé deux pouces. Moi, j'ai essayé, je n'y arrive pas sans taper n'importe quoi ! Devant moi, deux jeunes filles debout sur la plate forme. Sans tendre l'oreille, j'entre dans la danse des mots au moment où l'une, la plus déterminée dit à l'autre, un peu angoissée :
- Tu veux que l'on téléphone et comme ça, on saura, tu sauras...
- Non, répond l'autre, je ne crois pas, je ne sais pas...
- Mais si, renchérit sa copine, c'est bien de savoir comme ça tu arrêteras de t'inquiéter.
- Non, j'ai peur...
- Peur ? Ben justement, c'est pas bon d'avoir peur. Il faut que tu saches !
Cela dure un bon moment. La décidée argumente mais argumente tant et si bien que sa copine finit par céder au bout de trois stations de métro ce qui nous fait quatre minutes montre en main. Et bientôt j'entends dans un souffle
- D'accord, appelle, moi, j'ai peur , j'ai trop trop TROP peur!
La fragile a rendu les armes parce qu'effectivement, à l'entendre, elle a sacrément peur et du coup, elle me fait peur !! Qu'est-ce qui peut lui faire aussi peur ?? J'y réfléchis quand tout à coup, je me dis que bien sûr !! Elle a dû passer un examen. Et qu'est-ce qui fait peur ? LES RÉSULTATS !! Ceux qui font flipper tous les étudiants ! Oh la pauvre, la pauvrette !! J'ai envie de lui dire de ne pas s'en faire, que si elle n'est pas reçue, elle pourra recommencer l'année prochaine que ce n'est pas si grave mais bon, je continue à les observer comme si j'étais au cinéma et au cinéma on se tait !!
La brune décidée compose le numéro et je me dis que toute la rame, en direct, va savoir si la jeune angoissée est reçue et vu son âge que j'imagine, en licence de quelque chose...
Et c'est parti :
- Bonjour, c'est Stéphane ? C'est Marie-Lou. Il est là ton frère ? Tu peux me le passer ?
Là, je me dis qu'il n'y avait pas de quoi s'inquiéter, qu'elles se la jouent un peu genre j'ai peur et cela me donne envie de ne plus les écouter !! Pfttt... Elles connaissent quelqu'un dans la place qui va leur dire en direct si la copine peut passer quelques mois tranquilles sans avoir à réviser.
Le frère doit arriver car notre brunette enchaîne :
- Salut Pierre, c'est Marie-Lou. J'étais avec Amandine dans le métro. Elle vient de descendre et je t'appelle parce qu'elle voudrait savoir... si tu l'aimes bien....
Oh là là de chez c'est pas possible de se gourer à ce point ! Je me suis inquiétée et pour rien ! Quoi que... Tout bien réfléchi, c'est une sorte d'examen parce que l'autre est croque du Pierre et ne sait pas si elle va être reçue dans ses bras ou recalée.
Moi, je suis scotchée et continue, bouche ouverte, à écouter la standardiste qui se fout de ce que les gens peuvent entendre. Les filles sont dans leurs bulles et parlent comme si elles étaient dans leur cuisine.
Le fameux Pierre doit dire qu'il trouve l'Amandine à son goût puisque la Marie-Lou balance un « C'est bien ! » L'autre cocotte paraît contente aussi, scrutant sa copine comme si elle ne l'avait jamais vue, ayant compris que le Pierre était ferré. Même moi, je suis contente, c'est vous dire... Mais la Marie-Lou veut que sa copine ne soit vraiment pas déçue et alors, j'assiste, médusée, à un interrogatoire en règle sur la ligne 7 :
- D'accord tu l'aimes bien mais c'est quoi « aimer bien » hein Pierre, c'est quoi ?
Là, je me dis que le Pierre doit ressembler à un poisson qu'a plus d'eau vu que rien ne se passe. J'ai l'impression que cela dure deux stations de métro quand notre brunette repart à l'attaque. Je regarde ses pieds, cela ne m'étonnerait pas d'en voir taper de la semelle genre l'instit qui a posé la question la plus pourrie à un élève en souffrance.
- Alors, c'est quoi, hein, pour toi aimer bien ??
J'ai envie de lui dire « C'est bon, lâche-le, c'est dur ta question et qu'est-ce que tu t'en fous ?? »
Et notre Pierre doit se creuser la cervelle... Il ne se passe rien... Tout le monde attend... Finalement, la pitbull du métro n'est pas si méchante car elle vient à son secours en lui soufflant calmement :
- Alors tu l'aimes bien, d'accord. C'est noté. Mais bon est-ce que tu l'aimes un peu ? Beaucoup ? Passionnément ?
Moi, j'attends qu'elle sorte de sa manche une marguerite, qu'elle en commence l’effeuillage se terminant d'ailleurs par « à la folie ? Pas du tout ? » Mais rien ne se passe. Je voudrais prendre l'écouteur si c'était un téléphone de 1912 et j'ai même envie qu'elle mette l'ampli. Mais bon, faut pas déconner quand même !!
La Marie-Lou a filé un sacré coup de main à notre Pierre qui a dû voir d’un seul coup une porte de sortie se dessiner devant lui. Il doit dire quelque chose du genre « beaucoup » parce que je vois le visage de notre pitbull-jeunette s’éclairer et lever un pouce vers sa pote. Pierre a réussi l’examen ! Du coup, les deux poulettes sont toutes guillerettes et moi aussi, je me sens soulagée. Si elle avait pris un râteau là devant tout le monde, surtout devant moi, j’aurais détesté. J’en profite pour regarder autour de moi mais personne n’a écouté.
Je pense donc que c’est une histoire qui est bien partie. Je me sens bien sur mon strapontin. Cela me donne la pêche. Soudain, j’entends
- C’est suuupppperrrr ! Ne quitte pas, je vais te la passer !
Alors là, je n’ai pas pu m’en empêcher. Je me suis levée d’un bond de mon strapontin de la salle de spectacle du métro en lançant
- Mais t’as dit qu’elle était descendue !
Moi, c’est clair. J’ai tout suivi et tout compris de l’histoire. Et toutes les deux me regardent, se regardent, ouvrent des yeux ronds et chuchotent « Merci Madame, merci ! ». On se sourit. On est bien des filles. La commandante reprend le téléphone
- Je suis nulle ! Elle est descendue ! Mais où ai-je la tête ?
Ben oui, t'es pas encore au point ma petite caille pense-je en moi-même mais tu as de bonnes dispositions, cela va venir... Patience ! Bon, le métro entre en gare. C'est ma station. Avant de descendre, je leur fais un signe de la main en leur souriant. Elles me le rendent et je me dis que ces jeunes sont tout aussi extra qu’incroyables !!

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