Métamorphose
Dimanche
Je ne comprends pas. Depuis quelques jours, je suis affamée. Curieux. Moi qui surveille mon poids comme le lait sur le feu, un unique objectif : manger. Ce qui est rassurant, seule la salade me tente ; ce qui est inquiétant, seule la salade me tente. Ça fait marrer Pierre. Qui cite Twain « Il y a trois choses qu’une femme peut réaliser avec rien : un chapeau, une salade et une scène de ménage. » Côté chapeau, pas sûre ; côté scène de ménage, certaine. Que vient foutre la salade ?
Lundi
Coup d’arrêt sur les salades composées. Finis tomates, œufs durs, anchois et j’en passe. Je suis écœurée. Même la vinaigrette me dégoûte alors que j’aimais saucer avec du pain frais et un morceau de fromage. Rien ne me tente. Pierre achète tout ce que j’aime. J’ai apprécié les fanes de radis et de carottes. Il a rangé Twain, rit beaucoup moins. Moi aussi.
Mardi
J’ai grossi. Toutes les odeurs de cuisine m’incommodent. Je passe mon temps dans le jardin. L’herbe est bonne. Je devrais consulter.
Mercredi
Le médecin, quel âne ! Ces nouveaux toubibs ont autant d’empathie qu’un lion pour une gazelle. Je dévore des salades comme si j’avais deux estomacs. Quand le premier se ferme, le second s’ouvre. Pierre s’inquiète, comprend pas que l’herbe à lapin fasse grossir.
Jeudi
Ma peau a changé. Et j’ai des poils à la pelle. Mes oreilles, plus grandes ; mes chaussures, trop petites. Une espèce de corne s’est formée ; j’ai la flegme de prendre une râpe. J’ai du mal à bouger. Je salade beaucoup trop, crains de régurgiter mais non, je continue de mâcher ce qui remonte de mon estomac.

Vendredi
Pierre a hurlé. Réveil brutal ! Son regard m’a effrayée. J’ai voulu me lever, impossible de me mettre debout. À quatre pattes, j’étais mieux. Cela m’a rappelé notre fils qui se déplaçait à toute vitesse de cette façon. Pas moi. Je me cogne partout. Envie de faire pipi comme tous les matins. Bizarre ce bruit sur le parquet. Les cris de Pierre redoublent. J’entre dans la salle de bains. Qui a fait entrer une vache ? Jolie, un beau marron ma foi mais une vache. Je me retourne difficilement vers Pierre. Il pleure. Je meugle.
Samedi
Pierre a loué un pick-up. J’ai tiré sur la corde avant d’y monter. Je voulais rester chez nous. Lui en avait marre des bouses dans le jardin. Il a réglé l’histoire avec l’agriculteur du coin. Je fais mon entrée dans le pré. Tout le monde me regarde. J’ai envie de pleurer. Pierre est parti. Je suis seule.
Dimanche
Roméo est devenu mon pote. Je l’adore ! Jamais vu taureau plus gentil. Les autres sont jalouses, j’m’en fous. On batifole, on se raconte nos vies, c’est vachement sympa ! Je lui ai raconté l’album de Pef. Il a pris peur, voudrait qu’on quitte le coin plutôt que de finir dans une arène. Pierre passe de moins en moins. Je crois que c’est mieux. Oui, beaucoup mieux.